Épisode 2 – Encyclopédie de la domination masculine, par Andréa-Fatima Touam

De ses appartements du 12ème arrondissement, « Tournée confinée » tente de penser au-delà du virus, entre ses gros pics menaçants qui pour l’heure tiennent artistes et travailleurs des bars dans d’autres appartements. Certains tous proches, d’autres un peu plus loin. Ce qu’elle voit est parfois joyeux, comme la perspective de « Tournée Générale », le retour à la vie, au collectif, à l’art. Mais c’est aussi parfois aussi noir que le corona, qui accentue d’ailleurs certaines violences, certaines inégalités anciennes.

Aujourd’hui, c’est l’Encyclopédie de la domination masculine d’Andréa-Fatima Touam qui nous aide dans la double tâche de maintenir vive la joie du retour à la vie sociale et la réflexion sur ses réalités. L’auteure, qui « lit les journaux, voit des films, lit des livres, va au théâtre, écoute des concerts et blablabla », y dit son impression funeste : « Que les hommes tiennent le haut du pavé. Les femmes le bas. Dans un petit caniveau étroit qui s’écoule avec lenteur vers un gigantesque égout, je veux dire dégoût, de l’histoire des hommes êtres humains », dit-elle sur la quatrième de couverture du livre récemment publié aux Presses du Réel, collection Al Dante.

Pour « Tournée Générale », Myriam Saduis, dont plusieurs représentations du beau Final Cut ont dû être annulées du fait de la fermeture de tous les lieux culturels en Belgique et en France, mettra en bars cette exploration lapidaire des inégalités homme/femme dans les milieux des arts et de la pensée. La comédienne Magali Pinglaut donnera chair aux nombreuses listes qui composent le texte, et à ses accents pamphlétaires qui résonneront fort entre les murs d’Aziz ou d’Ali. Satellite ou Bistrot de Juliette pour cette Encyclopédie de la domination masculine ? À méditer. En attendant, nous vous partageons le dernier chapitre du livre, Unsex me here ! Avec toujours une illustration d’Eric Kuntz, scannée avec les moyens du bord. Santé à tous !

 

UNSEX ME HERE !

« Je suis frappée — happée hantée broyée — par le démon de la comparaison. Des hommes aux femmes, des femmes aux femmes, des hommes aux hommes. Les hommes sont-ils égaux aux femmes ? On me dit : on ne peut comparer l’incomparable.

Interdit historique originel pour Marcel Détienne L’historien le conteste. Interdit politique originel pour moi Comme si on ne pouvait comparer que le comparable.

Qu’ont à voir un homme et une femme ? Rien du tout. Différence absolue. Incomparables. Façon de parler.

Dans une vidéo savante sur la cuisine, un anthropologue, une philosophe, le journaliste s’adresse à elle il a un air entendu et vous, comme femme, la cuisine ? mais je ne suis pas une femme ! répond la philosophe.

Regardez Macbeth et Lady Macbeth. Lui c’est le gentil. Elle c’est la méchante. Un monstre.

Vous savez ce qu’elle fait ? Elle incite son mari à commettre un régicide. Oui, tuer le roi. Elle désire commander. Quelle horreur ! Tous deux partagent la même folie des grandeurs

Elle désire aussi être un homme. Elle est queer. D’ailleurs, C’est elle le mari. Lui, c’est l’épouse. On ne sait formuler la transformation des rôles correctement.

Shakespeare (1564-1616) invente le terme de vulnérabilité pour un homme Macbeth, le courageux soldat, est un partenaire vulnérable.

Lady est puissante. L’écrivain semble confondre le « masculin » et le « féminin ».

Shakespeare invente aussi un intraduisible : Unsex Une façon de signifier — peut-être — qu’il faut mettre fin au genre prescrit Sur le champ Lady Macbeth veut se désexuer/être désexuée: «unsex me here !»

Google propose cette traduction : me lécher ici qui ne manque pas de sel

Peut-être est-ce : lâchez-moi !

En 1964, Irène Dalis est la première mezzo-soprano à jouer Lady Macbeth dans l’opéra de Verdi. Elle apparaît presque comme une femme transgenre. Il est vrai que les héroïnes de Shakespeare étaient incarnées par de jeunes hommes.

Lady Macbeth n’est pas aimable. Ni glamour. Comment le serait-elle ? Dans l’opéra de Chostakovitch (Lady Macbeth de Mzensk) Elle est emprisonnée dans sa condition. Mais résiste de toutes ses forces.

À chacune selon ses moyens ses besoins Et surtout ses désirs Mieux vaut se boucher les oreilles les yeux et parler la bouche fermée que de voir ça : Elle fait ce qui lui chante

Du reste l’opéra a été censuré (sous Staline) : grossier vulgaire une femme aux manières de grognard

Les listes, on peut toujours les aligner indéfiniment en ajouter n’ajoute rien de plus

Oui bien sûr je suis d’accord J’aurais pu regarder aussi ce qui se passe dans d’autres domaines mais j’aurais trouvé la même chose une morne répétition de la même structure du même mécanisme

Médée histoire horrible pour Pascal Dusapin Abrupte et contemporaine Réinterpréter notre histoire Il collabore avec Heiner Muller, Olivier Cadiot, James Turrell, Frédéric Boyer Que des femmes (mais on est au théâtre, à l’opéra) Il prépare un opéra sur Macbeth

« Penthésilée c’est une femme qui tombe amoureuse de son ennemi mais elle ne peut aimer qu’un vaincu Achille lui fait croire qu’il est vaincu elle est trahie et par lui et par elle-même car elle a trahi son peuple (de femmes) elle n’a d’autre solution que de le déchirer avec ses dents et de se tuer » (Dusapin) en gros

Je ferme boutique J’ai les oreilles pleines et les yeux éteints »

Andréa-Fatima Touam

 

Pour commander l’ouvrage (de préférence après le confinement !), c’est ici !

Sinon, vous le trouverez dans nos bars, pendant « Tournée Générale ».