Épisode 4 – Mexica, de Texcoko

« Un saule de cristal, un peuplier d’eau, un haut jet d’eau arqué par le vent, un arbre bien planté quoique dansant, un cheminement de rivière qui s’incurve, avance, recule, vire et arrive toujours : une démarche paisible d’étoile ou de printemps sans hâte, eau avec les paupières fermées dont soudent toute la nuit des prophéties (…) ».

 

En cette période de confinement, ces mots de Pierre de Soleil d’Octavio Paz (1914-1998), résonnent pour l’équipe de « Tournée Générale » d’une façon particulière. Ils nous ramènent à la préparation de la première édition du festival, en mai 2019, sur la péniche Adélaïde où nous découvrons le groupe Texcoko qui fait alors ses premiers pas en public. Prononcés par le comédien Alexandre Pallu, accompagné de Flavien Ramel à la batterie et de Guillaume Rouillard à la trompette, ils ouvrent une intense traversée d’un Mexique fantasmé qui fut l’un des moments forts de notre première aventure d’Art en Bars. Un voyage halluciné que l’on a retrouvé un peu plus tard, en juillet dernier, au Bistrot de Juliette pour une mémorable soirée « Paëlla + 2 spectacles », ouverte par un autre verbe épique : celui de Dieudonné Niangouna, qui reviendra également cette année avec De ce côté, monologue écrit spécialement pour l’occasion.

 

« Después de tantas horas de caminar sin encontrar ni una sombra de árbol, ni una semilla de árbol, ni una raiz de nada, se oye el ladrar de los perros ».

 

« Zan nIc ya temohuItIhuItz

NocuIc In yectlI

Ihuan nIc ya temohuIya

TItocnIhuan                                     Aya

CohuatIhua yehuan

IcnIuhtlamachoya

In yahuahuI yya hayyo ya oha yao ay Ohuaya Ohuaya ».

 

Cher à « Tournée Générale », Texcoko s’achemine doucement vers une transe verbale et musicale, dans un souffle quasi-incantatoire où se mêlent les langues. Ici, celle de Juan Rulfo (1917 – 1986), sorte de météorite de la littérature mexicaine dont un recueil de nouvelles, Le Llamo en flammes, et le roman Pedro Paramo ont suffi à faire de lui une figure majeure de ce champ littéraire. Puis celle du roi et poète aztèque Nezahualcoyotl, né au XVème siècle dans la ville de Texcoko, située dans la vallée de Mexico. La bière, puis le mezcal coule à flots, tandis qu’Alexandre Pallu passe de l’espagnol au nahuatl, la langue des Mexica, pour revenir au français, notamment avec le fil rouge de Mexica : la traduction du long poème Pierre de Soleil construit sur le modèle circulaire du calendrier aztèque – Octavio Paz est considéré comme l’un des précurseurs du mouvement dit « indigéniste » –, où un marcheur solitaire mêle ses rêveries intimes à ses émotions paysagères.

 

(c) Eric Kuntz

 

« J’ai pris du peyotl au Mexique dans la montagne et j’en ai eu un paquet qui m’a fait deux ou trois jours chez les Tarahumaras, j’ai pensé alors à ce moment-là vivre les trois jours les plus heureux de mon existence. J’avais cessé de m’ennuyer, de chercher à ma vie une raison et j’avais cessé d’avoir à porter mon corps. Je compris que j’inventais la vie, que c’était ma fonction et ma raison d’être et que je m’ennuyais quand je n’avais plus d’imagination et le peyotl m’en donnait.

rai da kanka da kuma kum da n

a kum vönoh (bis) »

 

Les voyageurs ont aussi leur place dans Mexica. En l’occurrence Antonin Artaud, suivi bientôt de Malcom Lowry, dont les extraits de Au-dessous du volcan nous mènent à Oaxaca. Dans un « terrible voyage à travers le désert, dans le chemin de fer à voie étroite, sur le chevalet de torture d’une banquette de troisième classe ». Des conquistadors sont aussi de la partie, comme Bernal Diaz del Castillo, auteur d’une Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle Espagne. Baroudeurs des bibliothèques, Alexandre Pallu, Flavien Ramel et Guillaume Rouillard mêlent diverses voix, diverses écritures du Mexique en un cocktail conçu spécialement pour les bars dans une démarche de décloisonnement des arts. Pour faire du théâtre, de la poésie et de la musique, sensuellement entrelacés, une grande fête. Une célébration aux très nombreux accents : rocks, jazz, électro, slam punk…

 

« 1/4 de viande de boeuf hachée 1/4 de crème

1/4 de viande de porc hachée 1/4 de fromage « manchego »

200 grammes de noix 1/4 de mole

200 grammes d’amandes Cumin

1 oignon Bouillon de poule

1 acitron Tortillas de maïs

2 tomates Huile

Sucre

-Hachez l’oignon menu et mettez-le à frire avec la viande dans un peu d’huile. En cours de cuisson, ajoutez le cumin moulu et une cuillerée de sucre.

-Quand la viande commence à dorer, ajoutez les tomates hachées, l’acitron, les noix et les amandes coupées en petites morceaux. (Empoignant la marmite, Tita, furieuse, gagna la cuisine. Elle termina le mole avec force ronchonnements et bruits de casseroles, puis, pendant que le plat cuisait, elle se remit à la préparation du champandongo.) »

 

Mexica est un peu à l’image de cette du champandongo, qui trouve sa place dans le spectacle entre un poème du roi Nezahualcoyotl et la chanson Vous allez tous mourir dans cette capitale, dont le refrain ne nous laisse pas insensible dans la difficile situation actuelle. Mais, comme au Mexique, Texcoko ne s’appesantit pas sur la mort. Toute en ruptures de styles et de tempos, leur partition passe sans transition du récit de la chute de l’empire aztèque à de joyeux chants populaires. Une jota, suivie d’une valse puis d’une nouvelle jota, d’une cumbia… Pour revenir là où tout a commencé : dans les mots d’Octavio Paz, avec qui nous vous laissons aujourd’hui. En attendant de les danser dans nos bars.

 

« Je veux continuer, aller plus loin et je ne peux pas :

l’instant s’est précipité dans un autre et un autre,

 j’ai dormi les rêves d’une pierre qui ne rêve pas

et au bout d’années pareilles à des pierres

j’ai entendu chanter mon sang emprisonné,

 la mer chantait avec un rumeur de lumière,

une à une les murailles cédaient,

toutes les portes s’écroulaient

et le soleil courait au pillage sous mon front,

 décollait mes paupières fermées,

 détachait mon être de son enveloppe,

 m’arrachait à moi-même, me séparait

de mon brutal sommeil de siècles de pierre

et sa magie de miroirs faisait revivre

un saule de cristal, un peuplier d’eau,

 un haut jet d’eau arqué par le vent,

 un arbre bien planté quoique dansant,

 un cheminement de rivière qui s’incurve,

 avance, recule, vire

 et arrive toujours »

 

Pour poursuivre le voyage en compagnie de Texcoko, rendez-vous sur ce podcast de radio Nova !

https://www.nova.fr/podcast/nova-book-box/que-onda-mexico-avec-texcoko-live

 

(c) Eric Kuntz