Crédit photo : © Anthony Devaux

Guillaume Mika, le théâtre par tous les bouts


Mise en scène, écriture, vidéo, son, musique… Par goût de l’apprentissage et du défi, Guillaume Mika ne cesse de se déplacer à l’intérieur de champ théâtral. Ce qui en fait un partenaire idéal pour « Tournée Générale », où on le retrouve cette année après deux participations. Mais de cette troisième fois il fait comme souvent une première, en y créant une performance inédite, faisant un pas supplémentaire vers l’essence du festival.

Dans le milieu théâtral, bien des voies mènent à Guillaume Mika. Pour notre part, nous arrivons à lui par le comédien Alexandre Pallu que nous programmons la première année de « Tournée Générale » avec le concert-performance Mexica qu’il porte avec Flavien Ramel et Guillaume Rouillard – rejoints plus tard par David Clermont, qui devient cette année notre régisseur général. Alexandre Pallu n’est que le premier des amis et/ou des collaborateurs de Guillaume Mika que « Tournée Générale » aura le bonheur de compter parmi ses alliés. La même année, plusieurs complices de Guillaume Mika sont embarqués dans l’aventure encore très spontanée et chaotique de « Tournée Générale » : Tom Politano, Myrtille Bordier et Julien Allouf venus avec Supernova écrit par le premier, joué par les deux autres. De retour dans les bars du 12ème arrondissement en 2024 il y retrouve encore une artiste, Karelle Prugnaud, avec qui il a travaillé sur le spectacle Mister Tambourine Man créé en 2021 au Festival d’Avignon, en tant que créateur son.

Sans doute le hasard est-il pour quelque chose dans ces retrouvailles dont les bars du festival se font le théâtre d’une année sur l’autre. Mais surtout, celles-ci témoignent de l’activité débordante de Guillaume Mika dans le champ théâtral, et de ses déplacements, de ses explorations multiples à l’intérieur de celui-ci. « Je pense que j’ai toujours voulu faire des choses que je n’avais jamais faites ou que je me pensais incapable de faire. Je passe mon temps à me provoquer, à me lancer des défis », analyse l’artiste. C’est l’une des raisons pour lesquelles cet amoureux du théâtre touche-à-tout, aussi féru d’écriture que de technique, a fait de « Tournée Générale » l’un de ses nombreux terrains de jeu. Pour esquisser son portrait, nous convoquerons notre expérience à ses côtés dans nos bars de quartier. Et pour approcher Guillaume Mika comme lui aborde le théâtre, en y entrant par des portes toujours différentes, nous irons voir aussi du côté du travail qu’il mène avec sa compagnie Des trous dans la tête ainsi qu’auprès d’autres artistes, en tant qu’interprète, créateur son ou encore vidéaste.

Au bar comme à la rue

Si Guillaume Mika en vient dès 2019 à déposer un peu de sa pratique dans les cafés de « Tournée Générale », ce n’est pas du fait d’un amour immodéré pour ces lieux où la parole coule au rythme de l’alcool. Jamais seul, toujours avec des amis ou quelques-unes de ses nombreuses connaissances de travail, il va souvent dans des bars pour parler théâtre mais guère pour en faire. Pas avant « Tournée Générale » du moins, où il s’engage d’abord pour tester une forme créée par plaisir avec son complice musicien Johan Cabé, La Métaphysique articulaire, lecture musicale basée sur la lecture du même nom de l’écrivain russe Sigismund Krzyzanowski (1935). « Au Barômaîtres, bar-restaurant (il ne fait plus depuis partie des partenaires du festival), les piliers de comptoir faisaient plus de bruit que nous ! Et notre deuxième représentation, dans un autre café, a dû être délocalisée au dernier moment, le patron ayant pris peur lorsque j’ai sorti le saxophone ! Mais au final, dans le bar où nous avons finalement joué, ça a été hyper chouette », se rappelle-t-il amusé. Restant sur cette note positive, il revient deux ans plus tard avec une proposition toute autre, Amiral Sirus où musique et dessin improvisés dessinent les contours du personnage éponyme et de son voyage performatif. L’expérience est cette fois plus sereine et satisfaisante : « Le Satellite, bar où nous avons joué avec Johan Cabé et la dessinatrice Marthe Pequignot, était parfait. Il est vraiment devenu notre vaisseau spatial ».

De retour à « Tournée Générale » en 2024, Guillaume Mika y présente pour la première fois une performance inédite, Lovely Blue(s). L’occasion pour lui de « partager pour la première fois dans un même moment quelques-unes de ces flamboyantes chansons d’amour perdu ou impossible que nous offre le répertoire rock et folk anglo-saxon », et de faire appel à l’Ensemble Artistique du festival afin de rendre ce concert le plus immersif, le plus poreux possible à l’atmosphère très intimiste du Pays de Vannes où il a choisi de poser sa guitare. Car ce qu’apprécie avant tout Guillaume lorsqu’il vient jouer dans un bar de quartier, c’est « la libération de la parole et du lien entre artiste et public qui est beaucoup plus décloisonné que lorsqu’on joue dans n’importe quel théâtre ». Une sensation que l’artiste rapproche de celles qu’il a pu éprouver en travaillant dans l’espace public. Ce qui lui arrive pour la première fois dans le cadre d’un stage sur la vase avec Pierre Meunier et Marguerite Bordat, s’achevant sur un spectacle en déambulation autour du Cube, lieu de leur compagnie La Belle Meunière. Une découverte pour le jeune acteur qu’est alors Guillaume Mika, qui poursuit cette voie tout en en arpentant bien d’autres.

L’esprit du lieu à cœur

Parmi celles et ceux qui marquent son parcours, il y a Nikolaus, qu’il rencontre en tant qu’élève à l’ERAC – il garde un souvenir mémorable du running de clowns que leur fait faire ce professeur très particulier – avant de le retrouver en création comme interprète ou créateur sonore. Le spectacle Vivants de la compagnie de rue Les Fugaces, qui tourne depuis pas moins de cinq ans, nourrit aussi beaucoup le goût de la déambulation que développe Guillaume Mika. « J’adore les accidents, les choses incongrues, et il n’y a pas d’endroit où il y en a plus que dans la rue. Plus on peut faire en sorte que le réel fasse en lui-même situation, plus je suis heureux », formule-t-il. Ce qui est bien sûr le cas dans les bars de quartier, peut-être davantage encore que dans la rue. « Je pense, nous dit-il, que le bar est vraiment une excroissance de la rue. On peut l’adorer, même le fétichiser et y avoir un peu amené son grain de sable, il reste collectif et partagé. Pour moi, il est plus intéressant de chercher qui on est dans ces lieux que d’essayer de les transformer, à moins peut-être que ce soit par la simple magie de la parole ». Cette sensibilité à l’esprit des lieux où il fait théâtre, Guillaume Mika la manifeste depuis ses débuts avec La Confession de Stavroguine (2013), extrait des Démons de Dostoïevski qu’il met en scène pour une carte blanche l’année où il est « académicien » à la Comédie-Française.

Loin des bars, même à l’opposé, c’est dans des monastères et des abbayes que l’artiste néophyte souhaite faire résonner son texte. La démarche témoigne, il en convient maintenant volontiers, d’un « rapport plus sacré qu’expérimental à la création artistique ». Pour lui, complète-t-il, il y avait alors « une mystique dans l’acte théâtral, et une notion de perfection. J’adorais le Bauhaus et Malevitch, et tous ceux qui ouvraient des portes en tirant un axe vertical ! Ensuite la vie et mon caractère ont mis un terme à tout cela. J’ai en effet tellement envie de faire de choses et suis si incapable de m’en tenir à une seule que j’ai dû davantage miser dans le tissage de liens entre mes pratiques et intérêts divers que dans ma quête initiale d’excellence en chaque domaine. Ce en quoi m’ont beaucoup aidé mes rencontres avec Pierre Meunier et Nikolaus ». Sa pensée du rapport au lieu évolue aussi. Une fois quittée l’église, il peut tranquillement commencer à cheminer vers le bar. Cela sans oublier ce que lui a appris son entrée en matière inspirée : « le fait d’avoir joué La Confession dans une église – qui plus est celle où j’ai appris le théâtre à Hyères – m’a rendu sensible aux ondes qu’émet un lieu. Dans chacune de mes créations j’essaie depuis de penser dans quels espaces j’ai envie de répéter, sachant que de manière quantique cela va influer sur la création. Je tente aussi dans la mesure du possible de prendre leur nature en compte quand je m’apprête à y jouer. Dans l’idéal, on devrait avoir une semaine pour bien comprendre chaque espace, passer une journée dans les sièges, voir comment les sols résonnent… Ce qui hélas, du fait des impératifs de production et de vitesse auxquels nous sommes tous soumis, est une utopie ».

La science comme fil rouge

Le désir d’union, de rencontre profonde qu’exprime Guillaume Mika à l’endroit de son rapport au lieu où le théâtre prend vie se retrouve dans la dimension scientifique qu’il donne à ses créations depuis La Flèche (2019), biographie fantaisiste de Frederick Winslow Taylor qui marque un tournant important dans la vie de la compagnie Des Trous dans la tête. Avec ce spectacle, Guillaume sort de ce qu’il nomme son « laboratoire-garage », où il créait jusque-là sans trop avoir envie d’« ouvrir la porte du monde », pour entamer un dialogue entre théâtre et sciences qu’il poursuivra dans ses créations ultérieures. Car il se joue pour lui dans ce croisement des disciplines le refus d’une pratique à l’origine selon lui de bien des problèmes sociaux : « la scission entre les disciplines dans le système scolaire, qui entraîne une séparation des élèves et une normalisation des goûts. Pour ma part, j’ai fait un bac S avec stupidement la sensation d’avoir trahi les littéraires. Sentant que ce fonctionnement pouvait susciter des frustrations, des injustices, j’ai organisé des groupes de parole au lycée pour aborder le sujet avec profs et élèves. J’ai abandonné les sciences lorsque je suis entré à l’ERAC, et ai ressenti l’envie de renouer avec elles ensuite, d’où La Flèche puis Prénom Nom (2022) où le dialogue arts/sciences se précise et s’affirme ».

Pour écrire ce deuxième spectacle en effet, où un tardigrade (animal microscopique) géant est soumis à un rendez-vous d’orientation scolaire, Guillaume Mika rencontre bon nombre de spécialistes : des scientifiques avec qui il réalise des observations en laboratoire, une conseillère d’orientation, son professeur de biologie du lycée, une enseignante de française, une psychologue… Aussi absurde puisse paraître la fiction qu’il développe pour rassembler tous les savoir qu’il acquiert, il définit avec malice sa pièce comme du théâtre documentaire. Jouant avec bonheur avec les clichés du scientifique, il y incarne lui-même un secrétaire complètement geek aux cheveux hérissés, partageant avec le avec le public une partie des connaissances qu’il a emmagasinées. Il n’en a pas fini avec les petites bêtes : à la demande du Vélo Théâtre – Scène conventionnée pour le théâtre d’objet et le croisement des arts et des sciences à Apt (84), il prépare un tandem avec le biologiste Andréa Pasini du CNRS à l’Université de Marseille, spécialiste d’un autre animal microscopique marin, le Trichoplax adhaerens* . Sans avoir l’ambition de devenir lui-même spécialiste des sujets qu’il aborde, Guillaume Mika aime à développer avec eux une relation sur la durée. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à défricher des domaines dont il ne connaît rien. Pour sa prochaine création, il a ainsi l’intention de creuser en parallèle plusieurs sujets qu’une fiction tiendra ensemble : l’électroacoustique et la bioacoustique, la spéléologie, le sommeil, la survie et l’entraide humaine… Il faudra être patient bien sûr, car le chantier est vaste. C’est pourquoi en attendant, il s’impose de venir écouter Guillaume Mika nous chanter des chansons d’amour dans les bars de « Tournée Générale ».

Anaïs Heluin
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*  Cette création, L’Excentrique, aura lieu du 3 au 5 octobre au Vélo Théâtre à Apt dans le cadre de son Campement scientifique 2024.